Nombril du monde

Miriam Daher

Comment oublier cet éclair, qui en un instant
A kidnappé dans les rues les habitants
Au fond des ténèbres, nécrasés, leur cri s’éteignant
Les fumées jaunes se dissipent, les bâtiments se déchirent
Les voitures brûlent, les rues s’effondrent
Tas infini de tuiles et pierres calcinées
Le nuage qui semblait immobile, sݎlargissait
Tantôt à l’est, tantôt à l›ouest, sa tête branlait
Et chaque fois qu’il s’agrandissait
Une part quelconque de son gros corps de champignon
Jetait des étincelles, changeait de couleur
Il grossissait toujours, sans trêve bouillonnant
De l›intérieur vers l›extérieur!
Qui dans cet univers a donc le droit de faire
Surgir un monstre aussi inouï qui fit trembler
Par ses grognements, une population toute entière ?
Le monde, l’humanité, brisés
Comme du verre en mille morceaux
Peaux pendantes comme des chiffons usagés
Reins enveloppés de tissus brûlés
Défilé de corps nus, marchant en foule, pleurant
Cadavres sous des décombres, entassés
Crâne dépouillés, moitié de corps rouges écorchés
Yeux écrasés, ventres gonflés, frères défigurés
Chaires arrachées, femmes ensanglantées
Les âmes des gens rampent sur le sol en vacillant
Déchirées de bleu elles s’envolent dans le ciel
Comme un triste cri, comme un gémissement
Terre jonchée de débris, de lambeaux
De ruines affreuses, de cendres malheureuses
Marbres rompus, membres dispersés
Mille infortunés que le sol dévore
Déchirés, sanglants, palpitants encore
Enterrés sous leurs toits, terminant sans secours
Dans l’horreur des tourments, leurs lamentables jours
Cris demi-formés de leurs voix expirantes
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes
Amas de victimes dont émanent les encens
D›un espoir lavé par un marécage de sang.
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et saignants?
Hier sur le nombril du monde ils ont recraché leur semence
Ils ont fait exploser et défigurer le silence
Toutes ces vies que l’ont te gâche,
Ces pâles souvenirs d’outre tombe, hantant notre bonne inconscience
Hier sur le nombril du monde, ils ont viole mon innocence