Ghada Ghoson
Le 13 août au soir, j’ai eu la chance d’assister à la messe de « la famille de saint Charbel » à Annaya célébrée par l’évêque d’Antélias, Mgr Antoine Bounajem. Comme toujours, sa parole était puissante, son message ciblé, sa voix claire et fervente. L’auditoire était interpellé et bouleversé. Un message chrétien qui ne brusque pas n’a rien de chrétien. Il se doit de faire violence et d’apaiser, de rassurer et de réconforter à la fois. Car il rapproche du Christ, de Sa Passion terrible et de Son amour infini.
Je ne peux prétendre retransmettre l’intégrité de son homélie par simple mémoire. Mais ses mots résonnent encore dans mon esprit et méritent d’être rapportés à l’opinion tant leur profondeur interpelle. Je tenterai alors de faire preuve de fidélité autant que possible, autant que ma mémoire puisse me le permettre. Le jeune évêque commença son homélie par ces termes :
« En ces temps difficiles, la mort est partout, sur toutes les lèvres. Notre pays se meurt, nos habitudes aussi, notre joie de vivre, nos familles dispersées et déchirées par l’exil. Nous marchons, tout un peuple, vers la fin de tout ce que nous avions connu et assimilé aux attributs de la vie. La peur au ventre, la tristesse au cœur et le désespoir nous hantent et nous accompagnent dans cette marche macabre et inéluctable vers la mort. Et pourtant, saint Charbel avait connu la mort à trois reprises. La première fois lorsqu’il choisit d’abandonner le monde pour entrer au couvent. Et la deuxième lorsqu’il choisit de s’abandonner soi-même pour rentrer à l’ermitage.
Vous n’avez entendu parler que de sa troisième mort, survenue à la veille de Noël. Alors, permettez-moi de vous parler des deux autres, ces deux fois où il mourut pour pouvoir germer et resplendir encore. »
« La mort pour le christianisme, c’est le début de la vie. La Passion et la croix ne sont que le chemin de la Résurrection et du triomphe. Le Christ nous a tant de fois parlé de cette nécessité de savoir mourir pour pouvoir donner la vie. Il le fit par des paraboles lorsqu’il parla de la graine de moutarde qui se doit de mourir et d’être enterrée afin de donner naissance à la plante et à ses fleurs, ou lorsqu’il évoqua aussi le levain qui se laisse disparaître pour engendrer le pain. Sans la mort, il n’y a pas de création, de renouvellement, de perfectionnement. »
« Cette mort, saint Charbel l’a choisie. Il l’a chérie en se dépouillant de tous les superflus, de tout bien matériel. Cela, nous ne l’avons nullement choisi nous-mêmes, mais ne pouvons-nous pas l’accepter afin de découvrir la noblesse de la résistance, la force de la foi et l’inconnu que nous réserve l’avenir ? À ceux qui regrettent la vie opulente d’avant, je leur dis que si, après cette crise, nous nous retrouvions dans les mêmes conditions, alors ce serait là la véritable tragédie. Car, dans ce cas, toutes nos souffrances et nos sacrifices n’auront servi à rien. Et que dire du sang de nos martyrs ? Ceux du 4 août et ceux de toute notre humble et héroïque histoire ? Il est fondamental que chaque série d’épreuves puisse nous enrichir d’une couche de sainteté. »
« Être dépouillés de tous les plaisirs, de luxure, de voyages, d’électricité, d’internet, des grands buffets des mariages pompeux, du faste et de l’étalage jusqu’à l’écœurement parfois, c’est pouvoir revenir à l’essentiel, réapprendre les valeurs du christianisme et le bonheur de la résistance de la vie face à la mort. Notre foi face au fanatisme, notre Liban face aux obscurantismes, notre culture, notre ouverture et notre amour face à l’ignorance et à la haine. »
« Mais pour cela, il faut résister ; et résister, ce n’est nullement partir. Que voit-on aujourd’hui ? Des personnes de peu de foi qui abandonnent tout, tournent le dos au Liban malade et s’en vont. Cela n’a rien de chrétien. Ils refusent l’affrontement, l’épreuve, la mort et la résurrection qu’elle implique. Certains parmi vous n’ont pas eu le choix, et ils devront partir. Ce n’est donc pas à eux que je m’adresse, mais à ceux qui ont la possibilité de rester et de former notre résistance, ceux qui partent parce qu’ils sont incapables de vivre sans leur luxe. Ils refusent d’endurer une période sans électricité ni internet, sans essence et sans sorties et soirées. Parmi ces gens, j’en vois de très aisés qui courent après le bien-être et abandonnent leur patrie et leur peuple dans le besoin. À leur tête, je m’adresse à la plupart des médecins. Vous qui avez fait tant d’argent durant des années et qui voyez vos revenus baisser, vous abandonnez nos malades sans soins afin de conserver votre niveau de vie ! C’est aujourd’hui, plus que jamais, que nous avons besoin de vous. Mesurez-vous la valeur de votre personne à l’importance de vos revenus ? Est-ce là votre valeur ? Est-elle proportionnelle à vos économies ? Ne pouvez-vous pas travailler quelque temps pour votre prochain ? En vérité, je vous le dis, là où vous irez, votre esprit ne trouvera jamais la joie ni la paix. »
« Notre Liban doit rester et son message chrétien doit continuer à briller. Le Liban n’est pas un morceau de terre. Il est nous, les hommes et les femmes qui ont enduré des siècles et ont toujours su résister afin de porter haut la parole du Christ dans cette région du monde. Cette montagne est le message de Jésus et elle fait de notre présence ici une mission et un devoir.
Acceptons comme saint Charbel de mourir pour pouvoir vivre pour le Christ et c’est là que nous découvrirons la véritable joie, la récompense et le bonheur authentique. »
Dr Amine Jules ISKANDAR
Tur Levnon
Union syriaque maronite
Article paru dans l’OLJ le 17 août 2021, courrier des lecteurs.